Plus connu comme additif alimentaire que pour son activité biologique, la taurine jouit d’une piètre réputation. C’est en effet à elle que l’opinion publique a attribué les effets indésirables des boissons énergisantes, alors que le vrai coupable était la caféine. Est-ce la raison qui a freiné la recherche ? Peut-être. Il demeure que, d’après les scientifiques qui se sont penchés sur la taurine, elle n’a pas fini de nous étonner.
Découverte en 1827 par des chercheurs allemands dans la bile de bœuf, la taurine est principalement présente dans le règne animal. Et les meilleures sources de taurine sont effectivement le maquereau, le saumon, l'agneau, le foie de poulet et de bœuf, mais aussi les fruits de mer, les escargots et les produits laitiers.
La taurine est un composé soufré issu de la dégradation des acides aminés soufrés que sont la cystéine et la méthionine. Ce n’est pas un acide aminé stricto sensus, mais un dérivé. Ce qui ne lui retire aucun mérite !
Arrêtons-nous tout d’abord sur ce qui lui vaut sa réputation. Reconnue comme neurotransmetteur, la taurine agit sur les cellules du cerveau, et notamment sur celles qui commandent les mouvements. Elle n’est pas excitante, mais stimulante. Son rôle lui permet de prolonger l'effet de la caféine sur la vigilance et ainsi la perception de la fatigue.
Et si elle ne bénéficie d’aucune allégation de santé, elle remplit malgré de nombreuses fonctions :
La forte présence de la taurine dans la rétine est désormais clairement établie. Mais elle est également très abondante dans les autres tissus oculaires : cornée, iris, cristallin... Son rôle, encore mal connu, est essentiellement lié à son pouvoir anti-oxydant. Elle permettrait ainsi la régénération des tissus oculaires fatigués.
Le corps ne synthétise pas suffisamment de taurine pour répondre aux besoins physiologiques des tissus. Il faut donc lui en apporter grâce à l’alimentation (viande, produits laitiers, poissons et fruits de mer…).
En 1975, des études sur le chat ont montré que l’apport nutritionnel en taurine était indispensable. En effet, sans taurine exogène, de sévères dommages rétiniens, affectant la couche des photorécepteurs, ont été observés. Il faut souligner que le chat ne synthétise que très faiblement la taurine.
Par la suite, d’autres études ont confirmé que la taurine était aussi essentielle pour la survie les photorécepteurs chez les souris, les rats et les singes nouveau-nés.
Chez les mammifères, pas mal d’études ont mis à jour que la taurine pourrait avoir une action antioxydante protégeant les photorécepteurs et ainsi être impliquée dans la prévention des dégénérescences rétiniennes telles que les rétinopathies et les glaucomes.
Malheureusement, et au risque de nous répéter, la taurine n’a que très peu été étudiée chez l’homme. Et, en tout cas, elle n’a pas encore été retenue comme stratégie thérapeutique dans le traitement des maladies rétiniennes liées au stress oxydant.
Parmi le peu d’études réalisées sur l’humain, citons l’étude TOZAL (pour Taurine, Omega-3 Fatty Acids, Zinc, Antioxydant, Lutein). Son objectif était d’observer l’évolution de la fonction visuelle grâce à la mesure de l’acuité visuelle, de la sensibilité aux contrastes... sur des cas de DMLA à travers la supplémentation en taurine, en oméga 3, en zinc, en antioxydants et en lutéine.
Cette étude en double aveugle portait sur 37 sujets avec au moins un œil diagnostiqué avec la DMLA sèche sur 6 mois. Les résultats ont été comparés à un groupe placebo ayant les mêmes critères d’inclusion et d’exclusion
Critiquée parce que trop courte, il n’empêche qu’après 6 mois de supplémentation, 76,7% des sujets ont montré une stabilisation ou une amélioration de l’acuité visuelle, alors que, dans le groupe placebo, on constatait une perte d’acuité.
Avant la cinquantaine, au niveau de la rétine et en particulier au niveau de la macula, les cellules possèdent plusieurs systèmes de défense contre les effets de l’oxydation tout à fait performants.
Par exemple, grâce à la phagocytose, l'épithélium pigmentaire rétinien est capable de renouveler chaque segment externe de chaque photorécepteur en 10 jours !
Pour protéger les photorécepteurs contre le stress oxydant (dont celui dû à la lumière bleue), on peut compter sur les 2 pigments principaux présents dans la partie centrale de la rétine : la lutéine et la zéaxanthine, dont la densité est liée au régime alimentaire. Elles permettraient aussi de freiner l’oxydation des acides gras polyinsaturés.
Le dernier rempart contre l’oxydation au niveau de l’œil repose sur les systèmes antioxydants circulants :
Avec l’âge, il se produit souvent un déficit en antioxydants du fait de la diminution de l’absorption des nutriments essentiels des aliments par l’intestin. Ce déséquilibre dans le cycle de régénération peut provoquer une diminution de l’activité des enzymes antioxydants. C’est pourquoi il peut être utile de compléter votre apport en antioxydants quels qu’ils soient, malgré une alimentation équilibrée, surtout après la cinquantaine !
Des chercheurs pensent que, associée à la lutéine et à la zéaxanthine, les piégeurs radicalaires les plus présents au niveau de la rétine, la taurine serait capable de prévenir la cataracte et contribuer à enrayer son évolution. Des laboratoires réputés y croient et proposent d'ores et déjà de la taurine dans leurs compléments alimentaires à visée oculaire. Il s'agit de Diet Horizon et de son Total Vision. Et aussi du laboratoire NHCO avec ses 2 produits oculaires Visiocare pour la fatigue oculaire et Rétinium pour la santé des yeux.
Mais des études supplémentaires sur l’intérêt des antioxydants autres que les caroténoïdes, tels que la taurine et les polyphénols, sont nécessaires pour établir leur réelle efficacité au niveau de la rétine.
Une consommation excessive de taurine pourrait être à l’origine de troubles chez les personnes qui souffrent d’épilepsie ou de problèmes thyroïdiens. Elle pourrait aussi avoir des conséquences sur le métabolisme du calcium. En cas d’insuffisance cardiaque, la prise de taurine doit impérativement se faire sous contrôle médical.
Menées en 2 temps, les études AREDS (pour Age-Related Eye Disease Study) dirigées par le National Eye Institute aux États-Unis sont des études cliniques de grande ampleur qui ont fait avancer la recherche en micronutrition sur la DMLA d’un pas de géant.
AREDS 1 a montré que de fortes doses de vitamine C, de vitamine E, de bêta-carotène, de zinc et de cuivre pouvait réduire de 25% la progression de la DMLA. Le bêta-carotène représentant un risque chez les fumeurs d’une incidence plus élevée de cancer du poumon, AREDS 2 l’a remplacé par la lutéine et la zéaxanthine.
Et cela s’est traduit par une diminution de 18% du risque de progression vers une forme avancée de dégénérescence maculaire. L'ajout d'oméga-3 n'avait à l'époque montré aucun bénéfice supplémentaire mais les doses n'étaient peut-être pas suffisantes.
La formulation originale AREDS 1 :
Les ajouts AREDS 2 :
Publiée en 2015, cette étude montre les effets sur la rétine d'un complément alimentaire contenant de la lutéine, de la zéaxanthine, des vitamines C, E, du zinc, des oméga-3 contenant principalement de l'EPA et du resvératrol. On a observé que cette supplémentation, grâce à ses propriétés anti-oxydantes, protégeait la rétine de la dégénérescence rétinienne induite par la lumière, et ce, sans affecter la rhodopsine (pigment photosensible). En préventif, il permettrait de freiner la progression de certaines maladies de la rétine.
Les nutriments qui ont fait leur preuve sont la vitamine C, la vitamine E, le zinc, le sélénium, la lutéine, la zéaxanthine et le DHA.
Les dosages journalières efficaces sont :
Les doses quotidiennes utilisées dans toutes ces études dépassent les normes autorisées et ne peuvent donc pas être transposées dans les compléments alimentaires à visée oculaire en l’état actuel de la législation. Toutefois, même si les doses sont effectivement moins importantes, l’objectif d’une supplémentation est surtout de restaurer le statut, ici en antioxydants, de l’organisme afin d’optimiser les défenses contre le stress oxydatif au niveau de la rétine.
AREDS2 Research Group, "Lutein/Zeaxanthin and Omega-3 Fatty Acids for Age-Related Macular Degeneration. The Age-Related Eye Disease Study 2 (AREDS2) Controlled Randomized Clinical Trial." JAMA, published online May 5, 2013.
Othman K., Cercy c., Amri M., Doly M., Ranchon-Cole I., Dietary Supplement Enriched in Antioxidants and Omega-3 Protects from Progressive Light-Induced Retinal Degeneration, published online June 4, 2015, PLOS
Chew et al. "Long-Term Effects of Vitamins C, E, Beta-Carotene and Zinc on Age-Related Macular Degeneration", AREDS report no. 35, published online April 11, 2013.
Cangemi, F. E. TOZAL "Study: an open case control study of an oral antioxidant and omega-3 supplement for dry AMD". BMC Ophthalmol 2007;7:3. PubMed ID: 17324285